Témoignage de Zélie, Partie 4 et fin

Mme B. Être bénévole et aussi soi-même

Il est très important pour moi d’avoir bien balayé la porte de mes difficultés psychiques avant de devenir – un jour peut-être – praticienne. D’une part pour être pleinement avec les patients et non me retrouver dans mon propre travail thérapeutique, mais aussi pour me permettre grâce au transfert et au contre-transfert, de les accompagner de la meilleure manière possible avec toutes mes propres difficultés que j’aurai pu résoudre. La veille de la visite, une séance très riche avec ma thérapeute me laisse en déséquilibre. Après m’être moi-même sondée sur ma capacité à être disponible dans le cadre des rencontres de mon bénévolat, je choisis de venir comme c’est prévu au service de l’hôpital. Je suis d’autant plus vigilante que l’on sort des vacances d’été et que je ne suis pas venue depuis plusieurs semaines.


Madame B m’accueille avec, sur son visage, ce que je lis comme étant une once de circonspection. Après m’avoir invitée à m’assoir, elle me met sur le grill : alors, vous faites quoi dans la vie ? On m’a bien préparée à écouter, ça oui, mais à parler, là… un peu moins ! Moi qui cerne la délicatesse du fait d’être accompagnante et étudiante en psychologie, me suis interdite depuis le début de mes accompagnements d’évoquer ma situation. Mais déstabilisée par ma séance avec mon thérapeute et pas encore « dedans » du fait du retour de vacances, je vais pourtant lui dire ce qui est pour moi le tabou absolu : « ah ben moi ce que je fais c’est ma passion ; je suis étudiante en psycho » ; Je la vois aussitôt se fermer, et y aller d’un « Et pourquoi vous êtes là ? Ah ben si je sais en fait c’est pour vos études… »


A partir de ce stade de la conversation je ne peux qu’affirmer avoir pris une paire de rames pour avancer sur un océan de mélasse. J’ai choisi de livrer de ma personne, et pas de la plus reluisante, pour réinjecter un rapport équitable dans l’interaction. A l’issue d’un récit familial un peu pathétique dont je ferais l’économie ici, j’ai senti que la confiance était réinstaurée, et qu’elle avait compris que je ne la considérais pas comme un sujet d’étude. Malgré cela je repartais mi-figue mi-raisin, avec la sensation d’être une bénévole de pacotille.


La semaine d’après, recevant le diagnostic de maladie génétique d’un membre de ma famille, je choisirais de ne pas me rendre à l’accompagnement, pour garantir ma disponibilité pour les patients. J’aurai peu après l’annonce du décès d’une très jeune personne de ma commune qui me bouleversera aussi très profondément.


Mon bénévolat aurait peut-être pu s’arrêter là, car je ressentais un vif sentiment d’incompétence. Mais évoquons maintenant une entité que j’ai peu mentionnée durant ce rapport : le groupe de parole de l’association. Après avoir prévenu ma coordinatrice de ma problématique et des différentes difficultés rencontrées les 2 semaines qui avaient précédé, nous convenons que mon « cas » serait abordé dans le temps de régulation collectif. Me voici donc contant mes aventures et questionnements sous l’oreille attentive d’une douzaine d’auditeurs. Responsable de l’association, psychologue et bien sûr les autres bénévoles, m’écoutent raconter toute l’histoire, mes chagrins de ces derniers jours et les doutes qui résultent de l’ensemble. En larmes, je finis d’écorner à mes yeux l’image d’une bénévole qui « tient la route ».


Et voilà.


Voilà le collectif qui se met en route. Tout un chacun prend la parole, me soutient, m’appuie, évoque ses propres difficultés, me remercie de ce partage qui lui permet de mettre le doigt sur ses propres problématiques. Le psychologue questionne ; Tous me rassurent ; j’y suis, c’est ça, être bénévole et accompagner, c’est pouvoir douter, se questionner : quelle place laisse-t-on de soi, de son parcours, de son cursus ? Ma problématique est au bon endroit. Je n’ai pas commis d’erreur mais je m’adapte, je positionne le curseur, j’apprends à être moi-même. Le psychologue m’interroge. Vous voulez être psychologue ? Et si vous en faisiez une force ?


Je ressors différente. Fatiguée et touchée au plus profond de moi mais changée, en profondeur : est-ce possible de recevoir une aussi grande claque ? Quelle puissance de l’affiliation, de la parole, de l’échange !


Me voici de retour auprès de Mme B. la semaine suivante. Et l’échange est beau, nous passons un bon moment, elle me fera part de quelques-uns de ses doutes. J’apprendrais quelques jours plus tard, qu’elle mourut le jour qu’elle avait elle-même choisi. Quelqu’un qui aura décidément su se démarquer. Je suis très heureuse d’avoir pu la revoir avant qu’elle trépasse.

Zélie, Bénévole d'accompagnement à JALMALV Savoie

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